Abdelghafour Essafi

Photographies-souvenirs: déconstruction/reconstruction
Abdelghafour Essafi explore des images photographiques qui proviennent d’une documentation erra- tique. Ce sont des souvenirs de couples, d’enfants, de parents, venant de milieux, de contextes familiaux divers. Nous avons d’eux leurs silhouettes, leurs regards, leurs sourires fixés sur le papier photographique. Ces humains en représentation d’eux-mêmes sont aujourd’hui, pour nous, désinvestis de toute proximité affective, de tout signe de reconnaissance. Ce sont des anonymes. Pour reprendre une métaphore cou- rante, ils sont comme ces bouteilles perdues, flottant à la surface de l’océan du temps, dont certaines ont
été repêchées. Mais ces humains nous font face, toujours, et renvoient à ce que nous sommes : des êtres- pour-la-mort.
Essafi a sélectionné certaines de ces photographies en les utilisant comme des documents supports pour y intervenir directement dessus avec ses propres signes, ses propres gestes, (crayon, plume, encres) en effectuant des découpes, corrosions évidements, réduplications). Il s’agit donc pour lui de détourner ces documents sans pour autant occulter la charge mémorielle que ces images portent toujours en elles puisqu’elles font partie de la nature même des documents (censées être au départ des souvenirs) même si les êtres qu’on y découvre sont déconnectés de toute référence originelle.
Chaque œuvre proposée par l’artiste est ainsi le produit d’un travail réactif provoqué, suscité par l’image originale, investie d’une puissance imaginale. Les personnes qui furent saisies, figées sur la pellicule puis fixées sur le papier sensible sont pour lui aujourd’hui telles des apparitions surgies d’un lointain horizon temporel dont il intériorise la présence fantomale et se joue d’elle.
L’on peut rappeler à ce propos le sens du mot personne, qui n’est autre que le vocable latin « persona », signifiant le masque de l’acteur, le personnage, ou le rôle qu’il tient. A la lumière de cette étymologie, on peut appréhender comment s’effectue le réinvestissement de l’artiste sur ces anciens clichés : il nous incite
à ne voir dans ces figures humaines autre chose que des masques qu’il s’approprie en les défigurant, en les refigurant, (reconfigurant?) par griffures, découpe, coloriage, occultation diverses. Ou bien il ne s’agit que de personnages dont il altère les composantes par des jeux de surimpressions introduisant à des étrange- tés souvent déconcertantes.
Ainsi, par exemple, cette image ou l’on voit à l’arrière-plan deux innocentes fillettes en robe blanche qui nous regardent gentiment l’objectif, au-devant desquelles se dresse la silhouette d’un homme vu de dos, sombre et opaque. Le regard originel des deux fillettes paraît détourné au profit de la silhouette de l’homme au premier plan (qui serait celle du photographe?) Ou bien cette autre image où l’on découvre une joyeuse scène de neige en famille à la montagne où apparaît au premier plan une forme humaine entièrement couverte d’un voile noir qui nous trouble d’autant plus que les personnages en train de s’égayer semblent complètement l’ignorer. Il y a ainsi élaboration d’une fiction à partir du remploi de la déconstruction de la photo souvenir.
Le choix d’Essafi d’utiliser d’anciens supports photographiques issus d’univers familiaux désuets, oubliés, entraîne celui-ci à activer des procédés d’apparition / disparition, de mettre en œuvre des jeux de palimpsestes, et faire scintiller d’étranges transparences de matières et de formes. On voit ainsi combien la plasticité des figures mémorielles ouvre un champ infini de possibilités créatives, propices à une certaine forme de méditation sur le rapport à la mémoire des corps et de leurs ombres insondables.
Joël-Claude MEFFRE
Source: EMAV

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